Le 16 décembre 2013, alors que Sassou massacrait avec une rare hargne les partisans de Marcel Ntsourou, il s'est passé quelque chose de nouveau quant au comportement de la foule brazavilloise face au danger de mort. En effet, le centre-ville de Brazzaville, zone de tous les dangers en cas de crise militaire, a fait l'objet d'une évacuation autorégulée dont le déroulement (tout en douceur) en dit désormais long sur les représentations de la peur chez les Congolais.
Le constat est remarquable : le type congolais maîtrise mieux ses émotions quand sa sécurité est menacée.
Vidéo
Les balles qui sifflent, les obus qui explosent, les cobras armés juqu'aux dents sont autant de paramètres psychologiques qui ne nourrissent plus la peur sous le Congo de Sassou. Témoin : une vidéo d'amateur de l'évacuation du centre-ville de Brazzaville, alors que Sassou bombarde la résidence de M. Ntsourou, visible sur Zenga-Mambu : on a le sentiment d'une scène de rue ordinaire comme on en verrait dans n'importe quelle métropole africaine. Si quelqu'un vous dit qu'à deux kilomètres de là, à vol d'oiseau, des obus pleuvent, des cadavres jonchent le sol, il y aura de quoi douter.
Baisse de la psychose
Le Congolais ne flippe plus pour un oui pour un non. A l'inverse du 5 juin 1997, oùça fuyait tous azimuts (quand Sassou déclencha son meurtrier coup d'Etat contre Lissouba), le 16 décembre 2013, le comportement des Brazzavillois semble indiquer une baisse d'intensité quant à la psychose de mourir d'une balle ou d'un éclat d'obus. On sent une domestication de la peur.
Pendant que le 5 juin 1997 ou le 18 décembre 1999 ça courrait dans tous les sens, le 16 décembre 2013, c'est dans un calme plus ou moins maîtrisé que les brazzavillois ont évacué le centre-ville. Les Brazzavillois, toutes classes d'âges (femmes, hommes, enfants des écoles) et toutes catégories sociales confondues (bureaucrates, ouvriers, commerçants, élèves, étudiants badauds etc.) ont affiché un self-control inouï en s'éloignant tranquillement de la zone à risques où Sassou était en train de commettre une boucherie (dont il a le secret) chez son ancien pote, Ntsourou. La vidéo montre que chez le Congolais, à force d'avoir côtoyé le pire, en trente ans de règne sassouiste, le calme a pris le dessus sur la panique. Rien à voir avec l'effroi qui se lit sur le visage des habitants de Pompéi lorsque le volcan Etna se réveille et détruit la ville.
La scène de la fuite est filmée grâce au Smartphone d'un anonyme, ce qui élimine l'hypothèse de toute manipulation comment sait le faire Télé-Congo. Bien qu'on note une gestion de la panique une voix off (probablement celle du cameraman amateur ) s'étonne en lingala «Pourquoi fuyez-vous ? Du calme voyons, ne courrez pas !» - La voix continue : « Ne détalez pas. Ce n'est rien. Allez, pas de panique…». Une autre voix off ironise : « Courir pour si peu ! Le pie est à venir. Qu'est-ce que ça va être en 2016 ? ». Il va de soi que le commentateur fait allusion à la probable crise politique que ne manquera pas de provoquer Sassou s'il modifie sa Constitution pour être Président à vie.
Bref, la peur/panique ne semble plus le pain quotidien des Brazzavillois malgré tous les Pompéi qu'ils ont vécus . A force de fabriquer des volcans politiques , Sassou a fini par habituer ses compatriotes. A force de crier au loup, Sassou a fini par diminuer la peur du loup chez les Congolais.
Calme sur la ville
Pas d'embouteillages ce 16 décembre 2013 sur terre tandis que dans les airs les hélicos pilotés par des ukrainiens pilonnent la résidence de Ntsourou. En principe la stratégie des dictateurs commande de diffuser la peur sur le peuple pour mieux le soumettre. Les mauvaises langues disent que le déploiement de forces du 16/12/13 symbolisait une sorte de message fort adresséà quiconque veut toucher à son pouvoir.Manifestement ce machiavélisme ne prend plus trop chez les Brazzavillois. Le chien de Mpila aboie, la caravane du peuple passe.
Le 15 août 1963
En 1963, alors que Youlou est aux abois, les Brazzavillois de Bacongo et Poto-Poto convergent tous vers le Palais. Jadis le comportement de la foule était centrifuge. Mais beaucoup de crises plus tard, c'est désormais l'inverse. Au moindre coup de pétard, la foule quitte le centre pour trouver refuge à la périphérie. Le comportement est centripète.
Toutefois rien ne dit qu'un de ces quatre la circulation de la foule ne se fera pas des faubourgs vers le Palais ; de la périphérie vers le centre. Comme à la chute de Youlou, le 15 août 1963. La peur quitte peu à peu les esprits. L'heure viendra (et elle est déjà venue) où tous ceux qui ne veulent plus subir les atrocités du 16/12/13 «inverseront le mouvement» du centre vers la périphérie.
« Il n'est rien au monde d'aussi puissant qu'une idée dont l'heure est venue.» (Victor Hugo)